1  FAITS ET PROCEDURE

 

Le 15 janvier 2004, le chalutier BUGALED BREIZH sombre au large du cap Lizard.

Après dix années d'enquête, les magistrats instructeurs, par ordonnance conforme du 26 mai 2014, prononcent un non-lieu. Ils estiment que la cause du naufrage demeure inconnue et qu'il serait vain de poursuivre les investigations. Les parties civiles interjettent appel.

 

2  DISCUSSION

 

Malgré les multiples mensonges du gouvernement et les circonstances troubles qui ont entouré le naufrage du chalutier (2.1), les investigations ont apporté la preuve de l'implication d'un sous-marin (2.2.).

Les objections des magistrats instructeurs ne sauraient, à cet égard, emporter la conviction de

la juridiction de céans (2.3).

De nombreuses charges pèsent sur le sous-marin britannique TURBULENT (2.5). C'est pourquoi il appartient à la juridiction de céans d'ordonner la poursuite des investigations (2.6).

 

2.1  Sur les contre-vérités qui ont émaillé les investigations

L'ancien Procureur de la République de QUIMPER, Monsieur Rolland ESCH, responsable de l'ouverture de l'enquête et du renflouement du BUGALED BREIZH, a déclaré alors qu'il venait d'être muté à MACON sans l'avoir demandé :

« Je ne pensais pas que les militaires, qu'ils soient français ou anglais, aient pu abuser de ma confiance ».

A la question du journaliste Sébastien TURAY : « Avez-vous l'impression d'être manipulé ? »,

il a répondu :

« A l'époque non (.) j'avais confiance dans la Marine. Maintenant avec le recul évidemment j'ai cette impression (.) C'est une affaire qui m'empêche souvent de dormir la nuit, aujourd'hui encore. Ce qui me choque le plus, c'est l'ambigüité du langage politique ».

De nombreux éléments confortent le constat du magistrat.

 

2.1.1 Le silence sur la participation d'un sous-marin aux recherches

Il est constant que le sous-marin hollandais DOLFJINN a participé aux recherches lors du naufrage du chalutier. De nombreux membres des équipes de secours avaient d'ailleurs exprimé leur étonnement :

« Les gardes-côtes de FALMOUTH nous ont informés que le sous-marin participait aux recherches ce qui, de l'avis des membres de l'équipage de l'hélicoptère R 169 était inhabituel ». (Capitaine EVANS - SEAKING ZH 540 - D 2076)

Mr HALL (D 2098), plongeur-sauveteur, a estimé «important que [la présence du sous-marin] soit mentionnée de manière formelle, initiative écartée par le commandant pour qui cela n'avait rien à voir avec notre mission ».

Pourtant, consigne leur a été donnée de taire la présence dudit submersible :

« Le Lt CUNNINGHAM a déclaré pendant cette réunion (au retour de la mission de sauvetage) que l'équipage ne devait pas rendre public le fait qu'ils avaient vu un sous-marin ».

La présence du sous-marin a ainsi été omise du rapport d'incident : « il a été estimé qu'il n'avait rien à voir avec l'incident en question » (Lt CUNNINGHAM - D 2101)

 

2.1.2 La fausse piste du « cargo voyou »

Au regard de la rapidité du naufrage et du filage important de la fune bâbord (voir infra), l'implication d'un sous-marin aurait dû être l'orientation principale et immédiate de l'enquête.

Pourtant, dans les jours qui ont suivi le naufrage, le poisson autopropulsé du chasseur de mines ANDROMEDE n'a filmé que le flanc droit de la coque du BUGALED BREIZH et constaté à l'avant un enfoncement important (D79 à D86).

Les spécialistes de la Marine nationale ont même affirmé aux familles qu'un trou était visible à tribord, ce qui s'est bien évidemment avéré faux !

Rien ne s'opposait pourtant à la prise d'image du flanc gauche qui a été réalisée sans difficulté avant le renflouement.

C'est ainsi que la Marine nationale a délibérément lancé l'enquête sur une fausse piste, celle du cargo voyou. Abondamment relayée par les médias et plusieurs membres du gouvernement, cette thèse ne correspondant en aucune manière au dernier appel au secours du BUGALED BREIZH (« je chavire ») a mobilisé inutilement les efforts des enquêteurs sur plusieurs continents et pendant plusieurs mois.

 

2.1.3 Le silence des autorités sur l'exercice THURSDAY WAR

La Préfecture Maritime de Brest (communiqué en date du 16 janvier 2004) et le Ministre de la Défense ont dissimulé pendant près d'une année l'existence de la THURSDAY WAR qui s'est déroulée le 15 janvier 2004 à proximité du lieu du naufrage du BUGALED BREIZH.

Les autorités ne pouvaient pourtant ignorer l'existence de cet exercice. Les marines française et britannique ainsi que le Ministre de la Défense, Madame ALLIOT-MARIE, ont donc nécessairement menti par omission.

 

2.1.4 La panne de l'enregistreur du CROSS du Cap Gris-Nez

L'enregistreur des conversations téléphoniques du CROSS du Cap Gris Nez, par lequel ont été passés tous les appels téléphoniques des secours après le naufrage, est tombé en panne une demi-heure après le drame. Il a été rétabli dix heures plus tard.

Il ressort d'une expertise que le disjoncteur différentiel de l'enregistreur a été arrêté manuellement puis remis en marche.

Dans l'ouvrage qu'ils ont consacré à cette affaire, Messieurs RICHARD et TURAY rappellent un précédent : l'effacement des communications entre le CROSS-Corsen et les avions militaires de secours lors du naufrage en 1987 du chalutier LA JONQUE où avait été mis en cause un sous-marin.

 

2.1.5 Les expertises

Très curieusement, la motivation du non-lieu est essentiellement fondée sur le rapport d'enquête technique du BEA Mer (D1824). On rappellera qu'il s'agit d'un organe non indépendant soumis à l'autorité gouvernementale.

« Son seul objectif [du rapport d'enquête] a été d'en tirer des enseignements susceptibles de prévenir de futurs sinistres du même type. En conséquence, l'utilisation de ce rapport à d'autres fins de la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées » (avertissement, p. 2 du rapport).

Le rapport du BEA sera donc purement et simplement écarté des débats.

Le Contre-amiral Dominique SALLES, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'Amiral commandant régional de l'OTAN Est-Atlantique et commandant en chef de la Fleet à NORTHWOOD (Grande Bretagne) puis commandant de l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, souffre d'un évident manque d'indépendance.

Il a manifestement cherché à mettre hors de cause ses anciens employeurs même si les éléments accablants du dossier l'ont contraint à mettre en cause un sous-marin.

Monsieur Jean-Daniel TROYAT, intervenant à l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) et officier de réserve de la Marine, vit avec les mêmes difficultés cette double allégeance.

Les seuls experts réellement indépendants intervenus sur le fond de l'affaire sont les experts d'IFREMER ainsi que MM GEORGES (+) et THERET. On ne s'étonnera pas que les conclusions de leurs expertises soient, en tout point, convergentes.

 

2.2  Sur les éléments établissant l'implication d'un sous-marin

Malgré les obstacles et la mauvaise volonté des autorités, la responsabilité d'un sous-marin s'est peu à peu imposée.

2.2.1 Sur les dépositions des marins

Immédiatement après le naufrage du BUGALED BREIZH le 14 janvier 2005, l'implication d'un sous-marin s'est imposée à tous les esprits.

« Ce ne sont pas ces conditions météo qui peuvent mettre en péril un chalutier de 25 mètres comme c'est le cas du BUGALED BREIZH » (Jean MONNE - Patron de l'Ecume des Jours - D304).

« Cela fait quinze ans que je navigue et cinq ans que je commande. Je pense qu'il ne peut s'agir que d'une collision. Dans cette zone, le fond est plat et il n'y pas de croche ». (Franck BINET - Patron du chalutier BREIZH ARVOR 2 - D 301)

« Cela fait vingt-cinq ans que je navigue et sept ans que je commande. On ne peut pas l'attribuer au mauvais temps. Pour moi il ne peut s'agir que d'une collision avec un cargo ou un sous-marin, éventuellement d'une voie d'eau mais il n'aurait pas coulé aussi vite ». (Didier RICHARD - Patron de la Fleur de JUARES - D 300)

« Cela fait quinze ans que je navigue et dix ans que je commande. (.). Le naufrage n'est pas dû à l'accroche du chalut au fond » (Benoît BOUESNARD - Patron du chalutier LE RIANT - D 292)

« Ce qui m'étonne c'est que le gars qui a passé son message de détresse n'a pas donné l'origine mais il a pris le temps de donner sa position. C'est pour cette raison que je pense qu'il s'agit d'un sous-marin qui a dû le prendre au niveau de la quille anti-roulis » (Mathias ROUILLON - Patron du Chalutier SAGITTAIRE - D 299)

« De par mon expérience, depuis trente et un ans que je pêche et vingt et un que je commande, vu l'état de la mer et vu le bateau et la zone en question, il n'a pas pu chavirer seul. Il a selon moi été victime d'un abordage par un navire marchand ou alors un sous-marin qui se serait pris dans son train de pêche ». (Michel DESPRES - Patron du chalutier BOREE-AL - D 75).

 

2.2.2 Sur la configuration du train de pêche

Il ressort des observations des experts que le chalut retrouvé sur le fond marin se trouvait dans une configuration parfaitement symétrique : « Le chalut se trouve dans une configuration normale » (D1237, Rapport de Messieurs GEORGES et THERET).

Or, lorsque le chalutier est en mouvement, cette configuration est possible « si et seulement si les longueurs des funes [câbles reliant le chalut] bâbord et tribord sont identiques (ou quasiment identiques) » (Rapport de Messieurs GEORGES et THERET, D2199, p.8).

 

Au moment où le BUGALED BREIZH s'est arrêté, les longueurs des deux funes étaient donc nécessairement identiques. Le rapport d'expertise de Monsieur THERET est, à cet égard, dépourvu d'ambiguïté :

« Cela implique, sans le moindre doute, que lorsque le chalut s'est arrêté, les longueurs des funes bâbord et tribord étaient identiques » Rapport de Messieurs GEORGES et THERET, D2199, p.8)

Pourtant, les funes bâbord et tribord de l'épave présentaient une différence de longueur de 140 mètres (D1267), provoquée par le déroulement du câble bâbord.

Ce déroulement est donc nécessairement survenu après que le navire se soit arrêté. Il ne peut dès lors recevoir que deux explications :

-  Soit une force exogène a provoqué l'arrêt du chalutier puis le déroulement de la fune bâbord,

-  Soit le navire s'est arrêté, bloqué par une croche. Les marins ont alors filé 140 mètres pour soulager la fune bâbord.

Cette seconde hypothèse est improbable : les fonds marins sur les lieux du naufrage sont rigoureusement plats et l'appareil de pêche n'était ni enlisé ni « pris » dans les fonds sablonneux (Rapport de Monsieur THERET, p. 10, D2199).

Elle est par ailleurs impossible puisque, dans un tel cas de figure, l'excédent de câble filé (140 mètres) serait « tombé » à la verticale de la position du navire. Or, la fune bâbord est répartie en grandes boucles le long de la fune tribord entre le panneau et le chalutier et le panneau bâbord a été entraîné à droite du panneau tribord (D1264).

En tout état de cause, si la fune bloquée par un hypothétique obstacle avait été filée, le chalutier n'aurait jamais chaviré car il n'y aurait plus eu aucune tension. C'est donc bien la fune qui tirait la chalutier vers le fond et non le chalutier qui tirait sur la fune bloquée.

Seule l'intervention d'une importante force extérieure sur la fune bâbord a donc pu provoquer le déroulement du câble et emporter le navire par le fond.

L'implication d'un sous-marin constitue la seule explication possible du naufrage du BUGALED BREIZH.

 

2.2.3 Sur l'état des funes

Les experts ont fait état de nombreuses détériorations, en particulier sur la fune bâbord (D1568). Ces anomalies, situées à un niveau correspondant à des profondeurs comprises entre 40 et 60 mètres, sont constituées de pliures, d'écrasements, d'épingles et de traces de raguage.

Il ressort du rapport d'expertise de Monsieur THERET (p.6, D2199) que de telles anomalies ne peuvent résulter d'un usage normal du train de pêche et notamment d'un mauvais enroulement sur le treuil. Le seul scenario susceptible d'expliquer ces nombreuses traces est donc celui de l'intervention d'une force exogène, exercée sur les funes. Or, on ne voit guère quelle pourrait être cette force si ce n'est l'action d'un sous-marin.

 

2.2.4 Sur l'état de l'épave

La déformation constatée sur le côté tribord de l'épave se retrouve de manière parfaitement symétrique à bâbord, ce qui ne peut s'expliquer que par l'implosion de la cale à poisson sous l'action de la pression, ainsi que l'a démontré le Bureau Véritas (D1204).

Prenant la suite du Bureau Véritas, les experts Messieurs GEORGES et THERET ont estimé qu'une pression d'une telle intensité ne pouvait résulter que de l'immersion particulièrement rapide du chalutier, incompatible avec la thèse de la fortune de mer responsable du chavirement.

C'est donc une force exogène a entraîné le chalutier vers le fond à grande vitesse:

« L'on évalue une vitesse d'immersion très rapide du chalutier, provoquant l'implosion de la

cale à poisson qui a pu être provoquée à une pression d'environ 4 bars" selon le rapport du Bureau Véritas (Rapport de Messieurs GEORGE et THERET, D1237).

 

2.2.5 Sur les tests numériques

De nombreux calculs ont été effectués par le Bassin d'essais de Carènes et l'IFREMER. Ils démontrent sans ambiguïté que ce chalutier était particulièrement stable et qu'une fortune de mer ne pouvait, eu égard aux conditions de navigations relevées le 14 janvier 2004, être à l'origine du naufrage.

 

2.2.5.1 Les tests du bassin d'essais de carènes

L'étude du Bassin d'essais de carènes avait pour objectif « d'identifier les cas de figure pour lesquels on pourrait rencontrer des valeurs importantes de roulis présentant des risques d'envahissement et de chavirement lorsque le bateau est soumis à une traction dissymétrique des funes ».

L'objectif était donc d'envisager dans quelles circonstances l'hypothèse d'un naufrage sans l'intervention d'une force exogène était envisageable. En d'autres termes, il s'agissait de vérifier si le BUGALED BREIZH avait pu couler du fait d'une fortune de mer.

Les conclusions du rapport déposé le 14 mars 2007 sont limpides: aucun chavirement n'est possible si l'effort vertical s'appliquant au chalutier est inférieur ou égal à six tonnes :

« En cas de traction dissymétrique des funes et donc d'application d'un effort vertical sur tribord, il n'a été trouvé aucun cas de chavirement pour un effort inférieur ou égal à 6 tonnes. Pour une traction de 7 ou 8 tonnes (27 t.m et 32 t.m), plusieurs chavirements ont été observés. Ces cas correspondent à un temps médian (probabilité de chavirer de 50%) de chavirement supérieur à 15 minutes, et à une probabilité de moins de 10 % de chavirer en moins de deux minutes. Pour une traction de 9 ou 10 tonnes (32 t.m et 41 t.m), le chalutier chavire dans presque tous les calculs effectués. Pour 9 tonnes, le temps médian est de 6,3 minutes pour le gisement le plus critique, ce qui correspond à une probabilité de 20 % de chavirer en moins de 2 minutes. A 10 tonnes le temps médian pour ce même gisement est de 1.6 minutes, ce qui correspond à une probabilité de presque 60% de chavirer en moins de 2 minutes. »

Si les experts rappellent que ces chiffres constituent des ordres de grandeur, ils affirment que le code de calcul utilisé « fait référence dans le milieu de l'hydrodynamique navale, notamment après avaries, c'est-à-dire en cas d'envahissement » (D2030, p.21).

 

2.2.5.2 Les tests d'IFREMER

Sur la foi des données issues des tests du bassin d'essais de Carènes, les magistrats instructeurs ont sollicité d'IFREMER la réalisation de simulations numériques visant à établir si une force verticale de six tonnes avait effectivement pu s'appliquer sur le BUGALED BREIZH et, dès lors, provoquer le naufrage. Les conclusions du rapport sont ainsi formulées :

« Au vu des résultats de simulation, dans la limite de nos hypothèses et pour les différentes vitesses de remorquage testées, il apparaît que la composante verticale s'appliquant sur le réa tribord reste toujours très largement inférieure à 6 tonnes ».

Le rapport précise à cet égard :

« La tendance connue de DynamiT à surestimer les forces d'une part, le choix volontaire du plan de chalut le plus pénalisant du point de vue des traînées hydrodynamiques d'autre part, enfin, l'hypothèse que le navire

n'est pas ralenti par 1'augmentation de l'effort sur le câble tribord (cas du second scénario) nous mène à des calculs de forces maximales appliquées sur le navire. »

Quelque soit le scénario retenu, IFREMER a donc jugé qu'il était rigoureusement impossible qu'une force verticale de six tonnes se soit exercée sur le chalutier sans l'intervention d'une force exogène.

Dans aucune hypothèse, une fortune de mer, croche ou autre, ne peut entraîner une traction

supérieure à 1,6 tonne.

Partant, le BUGALED BREIZH n'a pas pu couler sans l'intervention d'une force exogène.

 

2.3  Sur les expertises du Contre-Amiral Dominique SALLES

Dominique SALLES - expert en sous-marin requis par les magistrats instructeurs - a, malgré ses réticences (voir infra), finalement reconnu que l'implication d'un sous-marin dans le naufrage était, au regard des expertises antérieures, « hautement probable ». Il a élaboré, sur la base des éléments recueillis, le scénario suivant : la fune bâbord s'est prise dans le safran inférieur arrière - et non sur le massif - du sous-marin qui rattrapait le chalutier par tribord (Rapport de Monsieur SALLES, p.64, D2174).

Dans cette hypothèse, le submersible est d'abord passé au niveau de la fune tribord avec laquelle il est probablement entré brièvement en contact. Ce contact, non prolongé, expliquerait les avaries constatées, qui sont sans commune mesure avec la pliure de 15 centimètres découverte sur la fune bâbord (D2696).

Une telle explication permet par ailleurs d'expliquer la configuration symétrique du chalut. Elle permet, enfin, d'expliquer que la fune se soit libérée, sans action particulière du sous-marin un peu plus d'une minute après la prise en ayant provoqué le filage d'une longueur proche des 140 mètres signalé au dossier (D2174, p. 64 à 67).

***

Au regard de ces éléments, précis, concordants et circonstanciés, seule la thèse de l'implication d'un sous-marin permet de restituer un récit cohérent du naufrage du BUGALED BREIZH.

 

2.4  Sur la faiblesse de l'argumentation de l'ordonnance de non-lieu

Selon l'ordonnance de non-lieu, l'implication d'un sous-marin ne serait pas établie en ce qu'elle se fonderait sur « des simulations numériques critiquées, des approximations et qu'elle [ne serait] étayée par aucun élément matériel probant, ni aucun témoignage direct ».

Il convient de revenir sur les critiques formulées par les magistrats instructeurs à l'égard des simulations d'IFREMER (2.1.), de l'état des funes (2.2.) et de l'implosion de la cale à poissons (2.3.).

 

2.4.1 Sur les « simulations numériques critiquées »

Contre toute évidence, les magistrats instructeurs écartent les résultats de l'IFREMER et invoquent les calculs alternatifs réalisés par l'expert Monsieur TROYAT (D2682). Ces calculs sont fondés sur des essais grandeur nature, réalisés à partir du chalutier RAVEL, sistership du BUGALED BREIZH.

Aux termes de son rapport, Monsieur TROYAT constate que le BUGALED BREIZH aurait pu, le 14 janvier 2004,

atteindre un angle de gîte de 10°, ce qui correspondrait à une traction verticale de 7 tonnes (il ne faut pas confondre cette traction verticale avec celle s'exerçant sur les funes qui peut être beaucoup plus importante). De telles conditions auraient donc rendu possible le chavirement du chalutier.

La méthode adoptée par Monsieur TROYAT, consistant dans la reconstitution de l'intensité de la composante verticale de la force à partir de l'angle de gîte du bateau, est approximative. Elle est fondée sur l'idée selon laquelle l'angle de gîte du chalutier dépend exclusivement de l'intensité de la force verticale s'exerçant sur le chalutier. Or, cette corrélation n'est pas établie.

Monsieur TROYAT avait pourtant reconnu lui-même les limites de sa compétence en demandant à la juridiction d'instruction d'interroger les spécialistes d'IFREMER. Il est donc malvenu à invalider le rapport d'IFREMER qui n'a pas été conforme à ses attentes.

IFREMER estime en effet à 1,6 tonne la force verticale maximale qui aurait pu s'exercer sur le chalutier dans toutes les hypothèses de fortune de mer. Ces conclusions, réalisées à l'aide de techniques numériques et informatiques sophistiquées, sont identiques à celles que l'expert en train de pêche Monsieur THERET a pu avancer par sa seule expérience (D2378, page 8).

Enfin, la valeur de 7 tonnes que l'on pourrait atteindre selon Monsieur TROYAT entraîne une probabilité de chavirement extrêmement faible. Le Bassin d'Essais des Carènes note en effet que la traction verticale de 7 à 8 tonnes doit perdurer pendant plus d'un quart d'heure pour que la probabilité de chavirement atteigne 50 %. Cette probabilité chute à 10 % sur une durée inférieure à 2 minutes.

Même en admettant la validité des calculs, le scénario privilégié par Monsieur TROYAT ne permet pas, in fine, d'expliquer la configuration symétrique du chalut (cf. supra).

 

La thèse défendue par Monsieur TROYAT, largement invalidée par les observations réalisées in situ d'une part et les simulations numériques d'autre part ne saurait donc emporter la conviction de la juridiction de céans.

En définitive et malgré tous ses efforts, l'expert TROYAT a été contraint d'admettre que l'implication d'un sous-marin était tout à fait vraisemblable.

 

2.4.2 Sur l'analyse tronquée de l'expertise des funes

Pour mieux conclure au non-lieu, les magistrats instructeurs donnent à la découverte de titane sur les funes du chalutier une importance qu'ils savent disproportionnée.

Cela leur permet de déduire hasardeusement que l'expertise de Messieurs TROYAT, POUSSEL et MILET - en ce qu'elle n'établit aucun lien entre la présence de titane sur les funes et l'implication d'un submersible - invaliderait l'implication du sous-marin.

Les conclusions du rapport d'expertise sont pourtant claires: « La présence, ou l'absence, de l'élément Titane ne peut donc, en aucun cas, permettre d'impliquer, ou non, un sous-marin ». (D2949)

La question de la présence du titane est donc indifférente.

 

Il n'est pas inutile de rappeler que lors du dépôt du rapport d'expertise des peintures, le Parquet de NANTES en a triomphalement communiqué les conclusions à la presse pour faire écrire par les médias internationaux que les marins du BUGALED BREIZH étaient seuls responsables de leur propre mort!

 Les magistrats instructeurs poursuivent en rappelant les conclusions de l'expertise du Laboratoire central des Ponts et Chaussées, sollicitée par le BEA, dont il ressort que les funes présenteraient « les signes d'un usage ordinaire sans sollicitation extraordinaire », résultant « d'enroulements successifs sur les tambours de treuil ».

Ces conclusions sont en contradiction totale avec les affirmations de François THERET, expert français de référence en matière de trains de pèche.

Ce dernier affirme en effet que les pliures observées ne peuvent résulter d'un usage ordinaire des funes :

« Il faut savoir que quand le treuil fonctionne, le câble est sous tension et le seul élément présent entre les panneaux et le treuil est le réa, qui ne peut provoquer cette pliure en raison de son diamètre suffisamment grand. L'enroulement du treuil n'est pas parfait, un tour de câble pouvant en chevaucher un autre, mais cet enroulement se faisant sous tension, il est tel que les pliures de câble sont impossibles à ce niveau ». Par souci d'exhaustivité, Monsieur THERET affirme qu'il est possible, mais improbable, que ces détériorations résultent d'un usage détourné des funes par les marins « par exemple, pour déplacer un objet sur le pont ».

En tout état de cause, son constat est clair et invalide les analyses théoriques du Laboratoire des Ponts et Chaussées :

les anomalies observées ne peuvent résulter d'un usage normal du train de pêche.

Mais surtout, la position des pliures et raguages (fait d'user un cordage par le frottement), identique sur les deux funes fait preuve en ce qu'elle correspond très précisément à la profondeur à laquelle elles ont pu être accrochées par un sous-marin.

 

2.4.3 Sur l'implosion de la cale à poisson

Les magistrats instructeurs estiment que l'implosion de la cale à poissons sous l'effet de la pression ne permet pas de conclure à une vitesse d'immersion rapide du chalutier. Ils relèvent, à cette fin, que le Bureau Véritas n'établit aucun lien entre « lesdits désordres et la vitesse d'immersion».

Cet argument ne saurait prospérer.

En effet, la mission du Bureau Véritas était d'expliquer pourquoi la cale à poissons a implosé.

Il l'a pleinement remplie en démontrant que l'implosion résulte de la pression hyrdrostatique de 4 bars qui s'est exercée sur la cale restée étanche lors du naufrage. Il ne lui appartenait pas d'expliquer pourquoi une telle pression s'est exercée sur la cale à poissons.

Cette tâche incombait aux experts judiciaires, dont la mission était précisément de proposer un scénario du naufrage à partir des données techniques versées au dossier de l'instruction.

C'est ce qu'ont fait MM GEORGES et THERET en déduisant de la pression exercée sur la cale à poisson une vitesse d'immersion du chalutier particulièrement rapide.

Il convient enfin d'ajouter qu'il était loisible aux juges - s'ils doutaient de l'analyse de Messieurs GEORGES et THERET

- d'ordonner la réalisation d'une nouvelle expertise visant à déterminer à quelle vitesse d'immersion correspond une pression hydrostatique de 4 bars.

 

2.4.4 Sur les bruits provoqués par le naufrage

L'expert Dominique SALLES a été contraint in fine de reconnaître la responsabilité d'un sous-marin comme « hautement probable ».

Il est passé pour cela par quelques contradictions.

Les allégations de Dominique SALLES sont fragilisées par ses contradictions.

Le 1 er juin 2007, il concluait dans son rapport :

« Il est difficilement concevable que le bruit du raguage de la fune ne soit pas entendu à bord, une coque de sous-marin excitée par le frottement résonnant alors comme une peau de tambour »

L'expert TROYAT, qui n'a aucune compétence en sous-marin, avait, à tout hasard, abondé dans le même sens.

Pourtant, le 31 mars 2010, abordant la thèse du sous-marin américain, Dominique SALLES estimait :

« C'est probablement dans le cadre d'une mission de surveillance préparatoire à un transport de plutonium devant se dérouler quelques mois plus tard, qu'un sous-marin américain :

- patrouillait en Manche le 15 janvier 2004 en matinée

- y a accroché une fune du chalutier

- n'a sans doute pas eu conscience du naufrage

(.)

Il est possible que nul à bord du sous-marin n'ait eu conscience du naufrage »

 

Il était donc absurde d'écrire que le naufrage du BUGALED BREIZH n'aurait pu rester secret en raison du très grand nombre de matelots du sous-marin qui l'aurait entendu.

L'expert SALLES, qui cherche manifestement à dégager la responsabilité criminelle du sous-marin naufrageur, est encore moins convaincant lorsqu'il écrit que le bruit provoqué par le naufrage n'étant pas un son connu, l'équipage du sous-marin n'aurait pu l'identifier comme tel :

« La reconnaissance d'un bruit exige surtout qu'il ait auparavant été entendu par les opérateurs » (p. 34 du rapport)

 

Il est efficacement contredit par Pierre JUHEL, spécialiste de l'acoustique sous-marine, qui, dans une interview au journal LIBERATION le 24 décembre 2010 a déclaré, à propos de l'implosion sous-marine de la cale de stockage du chalutier :

« C'est justement sa rareté qui la rend aisément identifiable »

L'expert SALLES a été contraint, face aux expertises de Messieurs GEORGES et THERET et à l'invraisemblance de la thèse de la fortune de mer, de reconnaître l'implication d'un sous-marin. Afin de préserver les marines anglaises et françaises, il a par la suite mis hors de cause l'ensemble des sous-marins présents sur zone.

 

2.5  Sur la piste du TURBULENT

En définitive, seule subsiste la piste du sous-marin anglais TURBULENT.

Les indices précis et concordants mis à jour par les investigations auraient dû, à tout le moins, conduire à la mise en examen de son commandant Andrew COLES.

 

2.5.1 Sur le manque de crédibilité des informations déclassifiées

L'exclusion de la piste du HMS TURBULENT résulte de certains documents déclassifiés selon lesquels le sous-marin était à quai à DEVONPORT le 15 janvier 2004.

Deux séries de documents sont présentées par l'expert comme attestant de la position du TURBULENT.

D'une part, un message LOCATOR 1503 (GDH Q 151605Z JAN 04), rédigé par le CECLANT sur le fondement de données recueillies par la frégate PRIMAUGUET, désigne le TURBULENT comme étant à quai le 15 janvier 2004 (D2175, p. 33).

Or, il est constant que les messages LOCATOR, rédigés à partir d'informations récoltées de sources diverses, peuvent contenir - et contiennent souvent - des erreurs.

C'est notamment le cas du message LOCATOR qui établissait, à tort, la présence du sous-marin le TORBAY à quai le 15 janvier 2004. De même, les messages LOCATOR 1503 et 1601 donnent une position erronée du sous-marin RUBIS à la date du 15 janvier 2044 à 8 heures, ainsi que le reconnaît Dominique SALLES dans son rapport du 1 er juin 2007 (D2175 p. 47).

 

D'autre part, des messages de type SUBNOTE émis par le CTF 311 établissent la position du TURBULENT à quai le 15 janvier 2004 (D2175, p. 54 ,55, 56). Ces documents sont, malgré les explications de Dominique SALLES, sujets à caution. En effet, trois messages se sont suivis dont chacun modifiait le précédent, à propos d'un seul et même déplacement. Cette succession d'erreurs apparaît pour le moins incongrue et, en tout état de cause, permet de mettre en doute la l'authenticité des messages.

Surtout, l'expert a d'abord soutenu que les datations des messages SUBNOTE étaient automatiques et ne pouvaient

être effectuées manuellement. Les parties civiles ont relevé qu'un message SUBNOTE en date du 15 janvier, jour du naufrage, mentionnait que la position du TURBULENT avoisinait celle du naufrage. Dans des explications peu convaincantes, l'expert a alors déclaré que les Anglais lui avaient ultérieurement affirmé que la datation pouvait être modifiée manuellement et qu'il s'agirait d'une sorte de « plan de vol » (sic). Qui peut croire dans le caractère anodin d'un « plan de vol » daté du jour du naufrage et ne comportant qu'une seule position à proximité immédiate du lieu du drame ?

En tout état de cause, il existe d'autres documents qui attestent de la présence du TURBULENT en mer le 15 janvier.

Un message émis par l'autorité CTF622 le 19 novembre 2003 (D1499) prévoit ainsi que le sous marin ne sera pas à quai le 13 et le 15 janvier :

« 3. ETG, WRU, MERC, DOLF, TURB ANS TRBY ARE NOT PLANNED TO BE

ALONGSIDE / AT ANCHOR DURING THIS PERIOD »

Dominique SALLES, dans son rapport du 20 septembre 2012, élude cette question en expliquant que le message a dû être amendé après son émission (p. 24 du rapport).

En vérité, l'expert ne démontre jamais que le message a effectivement été modifié. Il relève simplement la faisabilité technique d'une telle modification.

Au surplus, la situation des autres sous-marins cités, tels que le DOLFIJN et le TORBAY qui étaient effectivement en mer les 14 et 15 janvier 2004, porte à croire que le message n'a en réalité jamais été amendé.

En tout état de cause et en l'absence de message rectificatif, il possède donc la même valeur probante que les messages SUBNOTE précités. Plus largement, il est édifiant de constater que les informations qui permettent d'écarter la piste du HMS TURBULENT (documents déclassifiés de l'OTAN et des autorités britanniques) proviennent précisément des entités mises en cause.

En d'autres termes, l'expert fonde ses conclusions sur les réponses données par les suspects.

Or, les autorités ont déjà menti en niant les manoeuvres sous-marines à proximité du lieu du naufrage.

Elles ont également menti par omission en ne filmant qu'un côté de l'épave du BUGALED BREIZH et en inventant la thèse du cargo voyou (voir supra).

 

2.5.2 Sur l'existence d'éléments incriminant le HMS TURBULENT

De nombreux éléments, déjà soulevés par les parties civiles, tendent à établir l'implication du TURBULENT dans le naufrage du chalutier. Les réponses apportées par Dominique SALLES ne suffisent pas à les écarter.

2.5.2.1 Le témoignage du commandant du sous-marin britannique TORBAY Mark COOPER, le commandant du sous-marin britannique TORBAY a affirmé lors de son audition que le TURBULENT

était en mer au mois de janvier 2004, dans le cadre de l'exercice ASWEX 04 (D2043) :

« Au mois de janvier 2004, HMS TORBAY participait à l'exercice ASWEX 04 avec d'autres navires HMS TURBULENT, un sous-marin hollandais et un sous-marin français » (D2043)

Ces propos n'ont jamais fait l'objet d'investigations complémentaires et Dominique SALLES a arbitrairement estimé que le commandant du sous-marin TORBAY faisait erreur, pour la seule raison que ces propos invalidaient sa thèse.

2.5.2.2 L'article publié sur le site Navy News

Un article publié sur le site Navy News le 14 septembre 2004 et repris dans le rapport de Dominique SALLES en date du 20 septembre 2012 (p. 18) revient sur les activités du sous-marin TURBULENT :

« L'année dernière [2003], le Turbulent a navigué pendant dix mois, prenant part à des opérations au large de l'Irak, et la période de Noël a été particulièrement occupée car bâtiment et équipage se sont préparés pour ce [nouveau] déploiement d'importance (1).

Une partie de Janvier [2004] a été consacrée à démontrer la disponibilité du bâtiment (à l'autorité en charge de l'entraînement de la Flotte -Flag Officer Sea training-) (2). L'un des exercices consistait se rapprocher, sans se faire détecter, d'un groupe de bâtiments en exercice au large de la Cornouaille (3).

Le déploiement débuta sous de mauvais auspices quand le transfert de personnel qui devait être conduit sous Plymouth fut annulé en raison de coups de vent, des bittes d'amarrage du Turbulent ayant également subi quelques dommages (4).

Le sous-marin fit alors route au Sud, les bittes furent réparées par les mécaniciens du bord dans les eaux calmes de la baie de Gibraltar où le transfert de personnel reporté y fut accompli. »

Cet article, recoupé avec les pièces du dossier, permet d'établir une chronologie des évènements relatifs au TURBULENT.

De novembre 2003 jusqu'au mois de janvier, le sous-marin est resté à quai. Une partie de janvier a par la suite été consacrée à « démontrer la disponibilité du bâtiment ». Dans le cadre de cette activité, le sous-marin a notamment reçu pour mission d'infiltrer secrètement des bâtiments en exercice au large de la Cornouaille. Il était prévu qu'il participe, à partir du 16 janvier, à l'exercice ASWEX 04 mais à finalement dû être remorqué le 16 janvier 2004 dans la matinée à la suite d'une avarie.

Cette chronologie atteste donc que, d'une part, le TURBULENT n'était pas à quai avant le 16 janvier mais menait une mission d'infiltration au large des côtes britanniques afin de « démontrer sa disponibilité » et, d'autre part, qu'une avarie survenue entre le début de cet exercice et le 16 janvier, a nécessité son remorquage.

La concordance temporelle et spatiale entre ces éléments et le naufrage du BUGALED BREIZH mettent indéniablement en évidence la possible implication du TURBULENT.

Dominique SALLES, dans son rapport du 20 septembre 2012, s'efforce de démentir ces éléments. A cette fin, il suppose que la mission d'infiltration visait en fait les bâtiments participant à l'exercice ASWEX 04. Elle aurait donc nécessairement eu lieu postérieurement au début de l'exercice, le 16 janvier 2004, soit un jour après le naufrage du chalutier.

Or, rien ne permet de dire, dans l'article Navy News, que la mission visait à infiltrer des bâtiments impliqués dans l'exercice ASWEX 04 et non un autre exercice naval. Dominique SALLES admet à ce titre qu'il s'agit d'une simple hypothèse, en précisant : « s'il a concerné les bâtiments participant à l'exercice ASWEX04 ».Il est d'ailleurs peu probable que l'exercice naval désigné soit effectivement l'exercice ASWEX 04 dans la mesure où le TURBULENT devait, dès le 16 janvier, prendre part à cet exercice. Comment aurait-il pu, dans le même temps, participer à un exercice naval et s'en rapprocher secrètement sans se faire repérer ?

Encore une fois, les propos de Dominique SALLES ne satisfont pas aux exigences élémentaires d'objectivité. Il manipule les faits et la chronologie des évènements afin qu'ils correspondent aux informations déclassifiées

par les autorités militaires.

 

2.5.2.3 Sur les aveux du commandant du sous-marin TURBULENT

Thierry LEMETAYER a rapporté lors de son audition un témoignage essentiel.

Andrew COLES, en mauvaise santé morale suite au naufrage de l'ASTUTE (sous-marin anglais dont il assurait le commandement), aurait confié à un journaliste sa responsabilité dans le naufrage du chalutier. Si ce témoin refuse pour l'instant de révéler son identité, les propos de Paul AMAR dans l'émission « Revu et Corrigé » attestent de la véracité des propos rapportés.

"Une journaliste est en train de mener une enquête et qui laisse entendre que le commandant de ce fameux sous-marin "LE TURBULENT" qui était manifestement en zone serait prêt à parler". (D2928)

 

2.5.2.4 Sur les propos tenus par Monsieur Jean-Yves LE DRIAN, Ministre de la Défense

Le ministre de la Défense, Jean-Yves LE DRIAN, a déclaré lors d'une interview à la chaîne de télévision FRANCE 3 BRETAGNE le 19 janvier 2013 : « Les Anglais n'ont pas tout dit » http://bretagne.france3.fr/2013/01/19/jean-yves-le-drian-nous-alertons-ma-communaute-internationale-depuis-fin-septembre-sur-le-mali-

183919.html

Ces propos ne sont pas anodins, alors que plusieurs indices font ressortir l'implication du sous-marin TURBULENT. Ils supposent que les autorités anglaises ont menti, par action ou par omission, afin de dissimuler leur responsabilité.

 

2.5.2.5 Sur l'existence de témoignages concordants

Le 11 décembre 2010, le journal LE MATIN a publié le témoignage d'une personne possédant « une parfaite connaissance du monde militaire, et particulièrement de celui des sous-marins ». Elle affirme qu'un sous-marin anglais était, le jour du naufrage, en exercice avec le sous-marin nucléaire d'attaque français RUBIS, les deux submersibles s'apprêtant à participer à l'exercice de l'OTAN ASWEX 04 qui commençait le lendemain. 

Ce témoignage est corroboré par Christophe LABBE, qui fait état d'un second témoin lui ayant confié qu'un sous-français était en exercice avec un sous-marin anglais le jour du naufrage.

Le sous-marin anglais aurait mis fin l'exercice après qu'un bruit non-identifié ait été perçu :

« A l'origine, j'ai eu des informations par une source fiable qui m'avait indiqué que le jour du naufrage l'équipage du Rubis était en exercice avec un SNA britannique dont il ne m'avait pas donné l'identité. Soudainement, le submersible britannique avait mis fin à sa chasse après qu'un bruit non identifié ait été perçu.» (D3002)

Le bruit en question aurait d'ailleurs, selon cette source, été enregistré par le sous-marin RUBIS:

« Ma source ne m'a pas rapporté que c'était sur le livre de bord que les faits avaient été consignés mais que tous les événements étaient systématiquement consignés et que cela avait été le cas pour le bruit non identifié. » (D3003)

Ces éléments confortent les charges pesant sur le TURBULENT.

Ils sont en revanche en contradiction avec le journal de bord du RUBIS selon lequel le sous-marin se situait, le 15 janvier 2004, en pleine mer à 280 milles nautiques du naufrage. Pourtant, le même livre de bord contient une note manuscrite rédigée le jour du naufrage par le commandant du sous-marin François SAVY :

« Poursuivre le transit en effectuant une veille pêcheurs attentive » Pourquoi, alors qu'un sous-marin en plongée ne reçoit qu'un minimum d'information indispensable à sa mission, le commandant du RUBIS s'intéresse-t-il subitement le soir du naufrage aux bateaux de pêche ? Aucune mention de cette nature ne figure dans les centaines de pages des journaux déclassifiés et placés sous scellés.

Mais surtout, si le RUBIS est là où il prétend être, à 280 milles nautiques du naufrage dans les grands fonds de l'Atlantique, l'observation du commandant ne trouve aucune explication rationnelle. Il n'y a en effet aucun bateau de pêche dans cette zone de près de 3000 mètres de fond.

 

2.6  La poursuite des investigations s'impose

Les indices graves et concordants pesant sur le sous-marin le TURBULENT et son commandant Mr COLES justifient la poursuite de l'information.

 

2.6.1 Sur l'obligation d'enquête des autorités

L'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à la vie impose aux Etats des obligations positives d'ordre procédural. L'Etat a notamment le devoir de mener une enquête effective sur les décès éventuellement survenus en violation

des dispositions de la Convention (CEDH, McCann et autres c.Royaume-Uni). Une enquête effective doit, à cet égard, répondre aux exigences élémentaires d'indépendance, de célérité et de diligence.

Il s'agit en effet, ainsi que le souligne de manière récurrente la jurisprudence, d'assurer la mise en ouvre effective des dispositions protectrices du droit à la vie et, « lorsque le comportement d'agents ou autorités de l'Etat pourrait être mis en cause, de veiller à ce que ceux-ci répondent » des faits survenus sous leur responsabilité (CEDH, .C. c. Bulgarie).

Dans les semaines qui ont suivi le naufrage, l'Etat a failli à ses obligations conventionnelles en se consacrant exclusivement à la piste fantaisiste du cargo voyou et en omettant des informations essentielles (voir 2.1.). Il manquerait de nouveau à ses obligations en abandonnant les investigations, au mépris de l'impossible deuil des familles des victimes, alors même que la responsabilité d'un sous-marin est acquise et que des éléments graves, précis et circonstanciés désignent le submersible anglais TURBULENT.

 

2.6.2 Sur les pistes d'enquête non exploitées

De nombreuses investigations, déjà sollicitées par les parties civiles, ont été refusées par les magistrats instructeurs alors qu'elles sont essentielles à la manifestation de la vérité.

 

2.6.2.1 L'audition de Mark COOPER, commandant du sous-marin TORBAY à l'époque des faits. Mark COOPER, a affirmé lors de son audition que le TURBULENT était en mer au mois de janvier 2004, dans le cadre de l'exercice ASWEX 04 (D2043, voir supra). Ces propos n'ont jamais fait l'objet d'investigations complémentaires et il convient donc de procéder à son audition.

2.6.2.2 L'interrogatoire d'Andrew COLES, commandant du sous-marin TURBULENT à l'époque des faits. Les nombreuses charges pesant sur Andrew COLES (voir supra) justifient qu'il soit entendu, à tout le moins sous le régime de témoin assisté.

2.6.2.3 L'audition du commandant du sous-marin français RUBIS, en poste en janvier 2004.

Les témoignages concordants rapportés par le journal LE MATIN et par le journaliste Christophe LABBE établissent que le sous-marin français RUBIS est impliqué, directement ou indirectement, dans le naufrage du BUGALED BREIZH.

Il convient donc de procéder à l'audition de son commandant.

Il pourra à tout le moins s'expliquer sur la troublante note retrouvée sur le carnet de bord à la date du naufrage :

« Effectuer une veille pêcheurs attentive ».

La Marine nationale sera bien évidemment invitée à communiquer les enregistrements sonores réalisés à l'heure du naufrage.

2.6.2.4 L'audition de certains membres de l'équipage du TURBULENT à l'époque des faits, choisis aléatoirement par les juges d'instruction à partir d'une liste qui leur aura été remise et comportant des marins ayant quitté la Royal Navy

Pour mémoire, dans son rapport en date du premier juin 2007, Dominique SALLES conclut, avant de soutenir

ultérieurement l'inverse (cf. supra) :

« Il est difficilement concevable que le bruit de raguage de la fune ne soit pas entendu à bord, une coque de sous-marin excitée par le frottement résonnant alors comme une peau de tambour »

Il est dès lors essentiel de procéder à l'audition d'un panel significatif de membres de l'équipage qui pourront attester de la position du sous-marin au moment du naufrage et de sa croche avec le chalut du BUGALED BREIZH.

 

PAR CES MOTIFS

 

Vu l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Il est demandé à la juridiction de céans :

-  ECARTER des débats le rapport d'enquête technique du BEA Mer,

-  CONSTATER qu'aucune enquête effective, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne

    des droits de l'homme, n'a été menée dans les semaines qui ont suivi le naufrage,

-  INFIRMER l'ordonnance entreprise,

-  ORDONNER la poursuite de l'information.

 

Dominique TRICAUD

Avocat à la Cour