BUGALED BREIZH
dernier état de la procédure
Suite au réquisitoire de non-lieu du Parquet de Nantes,
voici la réponse de Me Tricaud, avocat,
adressée aux Juges
Tchallian et Coulon, chargés de l'instruction
Merci d'accorder votre attention à ce texte clair et complet qui fait le tour du
problème
et montre bien dans quelle impasse honteuse s'est fourvoyée cette affaire.
Paris, le 17 avril 2014 ...........................
Il
ressort de ce réquisitoire, contre toute évidence, que la cause du naufrage
serait inconnue, tandis que l'hypothèse d'un secret d'État est écartée, sans
même être discutée. 1. SUR LA CAUSE DU NAUFRAGE 1.1.
L'information a apporté la preuve de la culpabilité d'un sous-marin
Le Ministère public
soutient qu'« il n'existe aucun
consensus chez les experts en faveur de l'implication d'un sous-marin ».
Si l'on excepte l'enquête du BEA Mer, organisme non indépendant soumis aux
instructions du gouvernement, la thèse du sous-marin est corroborée par chacune
des expertises. François THERET a
conclu, dès octobre 2007, à l'impossibilité d'« imaginer une autre possibilité que l'accrochage d'un sous-marin avec la
fune bâbord pour expliquer l'origine de cette force exogène qui a provoqué le
naufrage du Bugaled Breizh » (D2378).
De même, l'expert Dominique SALLES a reconnu que la responsabilité d'un
submersible était « hautement probable » (D2695). Enfin,
Monsieur TROYAT l'estime à tout le moins possible en affirmant qu'« on ne peut exclure la thèse
sous-marin » (D1271).
Le 31 juillet 2008, les juges
d'instruction ont d'ailleurs confirmé que la responsabilité d'un sous-marin
était établie (D2696). Les investigations réalisées conduisent en effet à
exclure toutes les autres hypothèses. L'examen de la structure du chalutier après son renflouement a d'abord
permis d'évacuer l'hypothèse d'une collision avec un bâtiment en surface. Des
analyses métallurgiques ont établi que les avaries constatées sur le côté
bâbord du chalutier résultent d'un choc contre les fonds marins: « deux expertises métallurgiques suivies d'un calcul
d'effort ont permis de démontrer que la brèche constatée sous la ligne de
flottaison à bâbord et à l'avant du compartiment machine - bien qu'une
fissuration par fatigue préexistante ait fragilisé la tôle de bordé et ait
rendu plus aisée sa déchirure n'a pas pu se produire en surface » (Rapport d'étape n°2, Monsieur TROYAT, D1560) Au surplus, la déformation constatée à tribord se retrouve de manière
parfaitement symétrique à bâbord, ce qui ne peut s'expliquer que par
l'implosion de la cale à poisson sous l'action de la pression. Une telle
implosion n'est pas compatible avec la thèse du chavirement. Elle prouve qu'une force exogène a entraîné le chalutier vers le fond à grande vitesse: « l'on évalue une
vitesse d'immersion très rapide du chalutier, provoquant l'implosion de la cale
à poisson qui a pu être provoquée à une pression d'environ 4 bars selon le
rapport du Bureau Véritas » (Rapport de Messieurs GEORGE et THERET,
D1237).
Cette force exogène ne peut résulter
d'une simple croche. D'une part, les
fonds marins sur les lieux du naufrage sont rigoureusement plats. D'autre part,
l'appareil de pêche n'était ni enlisé ni « pris » dans les fonds
sablonneux (D2199, Rapport de Monsieur THERET, p. 10, D2199). Par
ailleurs, pour qu'une croche soit responsable du naufrage, le navire aurait dû
être en mouvement, c'est-à-dire exercer une traction sur les funes. Dans ce cas
de figure, la différence de longueur de près de 140 mètres entre les deux funes
aurait nécessairement provoqué une déformation du chalut: « une croche au niveau du chalut ou des
anneaux ne peut en aucun cas expliquer la configuration du train de pêche qui a
été observée sur le fond car dans (.] la différence de longueur des funes
aurait provoqué une déformation majeur du chalut » (Rapport de
Monsieur THERET, p. 11, D2378). La
configuration parfaitement symétrique du chalut retrouvé sur le fond permet
donc d'exclure définitivement la thèse de la croche qui, au demeurant, ne
permet pas d'expliquer pourquoi les funes se sont croisées et pourquoi le
panneau bâbord est passé sous le panneau tribord.
Seule l'intervention d'une importante force extérieure sur la fune bâbord a pu
provoquer le déroulement du câble et emporter le navire par le fond.
L'implication d'un sous-marin constitue donc la seule explication possible du
naufrage du Bugaled Breizh. Cette conclusion est confortée, en dernier lieu, par les pliures découvertes sur les funes et en particulier sur la fune bâbord (D1568). Ces anomalies, situées à un niveau correspondant à des profondeurs comprises entre 40 et 60 mètres, ne peuvent en effet résulter d'un usage normal du train de pêche et corroborent l'hypothèse d'une force exercée sur les funes par un sous-marin (Rapport de Monsieur THERET, p.6, D2199). 1.2. Le Ministère public méconnaît sciemment les éléments du dossier 1.2.1. « [l'implication
d'un sous-marin aurait] nécessairement laissé des traces significatives,
notamment de peinture, compte tenu de la force exercée » Les conclusions du rapport d'expertise de Messieurs TROYAT,
POUSSEL et MILET semblent avoir échappé au Ministère Public: « Aucune
des observations et analyses menées lors des précédentes expertises n'a permis
d'établir la présence de peinture sur les funes ce qui ne signifie nullement qu'il n'y en avait pas. En ce qui
concerne la présente expertise, l'état actuel des funes n'a pas permis aux
soussignés d'envisager une recherche de traces de peinture. » (D2949) En
tout état de cause, l'immersion prolongée du chalutier entre le 15 janvier 2004
et le 24 juin 2004 exclut toute recherche fiable de telles traces (D2949, p.
25). L'argument avancé est donc inopérant. 1.2.2. « Il est établi que les traces de titane ne
sont pas identifiables et sont si minimes qu'elles sont dépourvues de toute
signification et que les peintures extérieures des sous-marins en sont de toute
façon exemptes » Là encore,
le Parquet détourne les conclusions de l'expertise précitée. La présence de
titane est indifférente à l'implication
d'un sous-marin : sa présence ne permet ni de l'infirmer, ni de la
confirmer : « La présence, ou l'absence de l'élément Titane ne peut
donc, en aucun cas, permettre d'impliquer, ou non, un sous-marin. »
(D2949) 1.2.3. « Les épingles et autres pliures constatées
sur les deux funes apparaissent également dépourvues de toute signification » Dans son rapport en date du 2
août 2006, le laboratoire national de météorologie et d'essai (LNE) a
constaté « des pliures
d'amplitude importante, en particulier au niveau de la zone de raguage, sans
comparaison avec les anomalies mises en évidence sur la fune tribord ».
Lors d'un complément d'expertise du 20 octobre 2006, le laboratoire a confirmé
que « la pliure la plus importante de la fune bâbord a une amplitude de
15 centimètres [tandis que] celle de la fune tribord de 5 centimètres»
(D2205).
Le Ministère public estime que les
anomalies constatées sur la fune bâbord ne sont pas significatives, dès lors
qu'elles se retrouvent également sur la fune tribord. Il explique que la croche
avec un sous-marin aurait provoqué des pliures sur la seule fune crochetée et
non sur chacune des deux. Or, le
scénario aujourd'hui privilégié par les experts est celui du sous-marin
rattrapant le Bugaled Breizh par tribord (Rapport de Monsieur SALLES, p.64, D2174). Dans cette hypothèse, le
submersible est nécessairement passé au niveau de la fune tribord avec laquelle
il est probablement entré brièvement en contact. Ce contact, non prolongé, a
donc tout à fait pu provoquer les avaries constatées, qui sont sans commune
mesure avec la pliure de 15 centimètres découverte sur la fune bâbord (D2696). Ces éléments,
connus depuis plusieurs années, sont curieusement ignorés dans le réquisitoire. 1.2.4. « [Il est] difficilement envisageable
que la violence de la traction envisagée par un sous-marin au point d'entraîner
au fond un navire censé résister à des tractions verticales de dix tonnes et
qui a laissé filer la fune (frein bâbord ouvert), n'ait laissé aucune trace et
n'ait entraîné qu'une modeste réduction de l'ouverture du chalut, la fune
bâbord étant lovée en boucles le long de la fune tribord comme si elle était
retombée sans effort » Contrairement à ce que laisse entendre le Parquet, il n'y a aucune contradiction entre l'intervention d'une force exogène et la configuration de la fune bâbord au fond de l'eau. En effet, la fune a été libérée après une tension extrême mais limitée dans le temps. |
Une fois le
sous-marin dégagé, elle n'était plus soumise à aucune force et a pu retomber
sans effort, en formant des boucles tout au long de la fune tribord (D2696).
1.3. La thèse de la vague scélérate est
définitivement écartée
Afin d'expliquer le naufrage, le Parquet reprend la thèse alternative de
Monsieur TROYAT et évoque une impossible vague scélérate qui, dans un concours
de circonstances désastreux - orientation du chalutier par rapport au sens du
vent et des courants, croche sur les fonds marins ou traction dissymétrique des
funes - aurait causé le naufrage. Cette explication est toutefois incompatible
avec les éléments recueillis lors des différentes expertises. Il ressort des simulations
effectuées par le Bassin d'essais des Carène qu'une force de sept tonnes
s'exerçant pendant un quart d'heure sur l'une des funes est nécessaire pour que
la probabilité de chavirement du navire atteigne 50 %, quelles que soient les
circonstances (D2029).
Or, aux termes des mesures effectuées par l'IFREMER, la force s'exerçant
sur les funes ne pouvait, en toute hypothèse, excéder 1,6 tonnes (D2383).
L'hypothèse soulevée par le Parquet est donc nécessairement fausse, quand bien
même le pire scénario serait avéré. Elle
est en outre incompatible avec l'implosion occasionnée par la force exogène qui
a entraîné le Bugaled Breizh à grande vitesse vers le fond.
Comme cela a été dit aux parties civiles
par les magistrats instructeurs, il ressort sans doute possible des
investigations et des expertises qu'un sous-marin est à l'origine du naufrage
du Bugaled Breizh. Les arguments du Ministère
public sont infondés et témoignent d'une lecture volontairement inexacte du
dossier, niant tous les éléments recueillis au cours de dix années d'enquête. 2. LA SENSIBILITÉ DU MINISTÈRE PUBLIC AU SECRET D'ÉTAT
Le Parquet poursuit en estimant que la
thèse du sous-marin doit subsidiairement être écartée dans la mesure où « aucun
[militaire] n'a jamais parlé ».
Il convient à titre liminaire de rejeter
l'argument selon lequel
« les militaires qui composent les équipages de sous-marins sont des
citoyens libres dans des sociétés libres [et jouissent d'une] totale liberté de
parole » qui ne repose sur aucun élément concret et
relève de la simple incantation.
Par ailleurs, de nombreux témoignages
versés au dossier accréditent l'implication d'un sous-marin et désignent deux
potentiels coupables : un sous-marin américain et le sous-marin
britannique TURBULENT. Ces témoignages, arbitrairement qualifiés de « vagues
et péremptoires » sont au contraire précis et concordants, ce qui
confirme leur fiabilité.
C'est notamment le cas des propos d'une
personne possédant « une parfaite
connaissance du monde militaire, et particulièrement de celui des sous-marins »,
recueillis par le journal LE MATIN le 11 décembre 2010. Il en ressort qu'un
sous-marin anglais était, le jour du naufrage, en exercice avec le sous-marin
nucléaire d'attaque français RUBIS, les deux submersibles s'apprêtant à
participer à l'exercice de l'OTAN ASWEX 04 qui commençait le lendemain.
Ce témoignage est corroboré par l'audition
de Christophe LABBE. Il rapporte qu'un second témoin lui a confié que deux
submersibles français et anglais étaient en exercice sur les lieux du naufrage
le 15 janvier 2004. Le sous-marin anglais aurait mis fin à l'exercice après
qu'un bruit non-identifié a été perçu : « A l'origine, j'ai eu des informations par une source fiable qui
m'avait indiqué que le jour
du naufrage l'équipage du Rubis était en
exercice avec un SNA britannique dont il ne m'avait pas donné
l'identité. Soudainement, le submersible britannique avait mis fin à sa chasse
après qu'un bruit non identifié ait été perçu.» (D3002). Le sous-marin
RUBIS dispose d'ailleurs des enregistrements relatifs à cet évènement (D3003),
dont la communication n'a jamais été sollicitée par la juridiction
'instruction. Thierry LEMETAYER a enfin fait
part d'un dernier témoignage lors de son audition. Andrew COLES, en mauvaise
santé morale suite au naufrage de l'ASTUTE (sous-marin anglais dont il assurait
le commandement), a confié à un journaliste sa responsabilité dans le naufrage
du chalutier. Si ce témoin refuse de révéler son identité, le commentaire de
Paul AMAR dans l'émission « Revu et Corrigé » atteste de l'authenticité de son témoignage:
« Une journaliste est en train de mener une enquête qui laisse entendre
que le commandant de ce fameux sous-marin "LE TURBULENT" qui était
manifestement en zone serait prêt à parler. » (D2928).
On rappellera en outre que l'ASTUTE,
sous-marin plus lourd et moins manouvrant que le TURBULENT, s'est échoué sur
une plage écossaise à quelques centaines de mètres du rivage alors que le
précédent réquisitoire avait affirmé qu'un sous-marin de cette importance ne
pouvait s'aventurer près des côtes !
Le Ministère public est donc efficacement
contredit : le secret d'État a joué un rôle essentiel et il existe des
témoins qui ont peur de parler.
Les
secrets et mensonges qui entourent cette affaire ont par ailleurs été
surabondamment établis. Il convient de rappeler que le chasseur de mines Andromède n'a
réalisé aucune image du côté gauche de la coque du chalutier alors que rien ne
s'y opposait. Il a ainsi sciemment accrédité la thèse fallacieuse du « cargo voyou », complaisamment relayée par plusieurs membres
du gouvernement et un Président de la République. De
même, les marines française et britannique, ainsi que le Ministre de la Défense
de l'époque Michelle ALLIOT-MARIE, ont délibérément tu l'existence de
l'exercice Thursday War pendant près d'un an avant d'être contraints d'avouer
la vérité.
Plus récemment encore, le ministre de la
Défense, Jean-Yves LE DRIAN a lui-même admis l'existence d'un secret d'État
en déclarant que « les Anglais
[n'avaient] pas tout dit » lors d'une interview donnée à la chaîne de
télévision FRANCE 3 BRETAGNE le 19 janvier 2013. Les
magistrats instructeurs ont reconnu l'opacité des autorités, lors de
la réunion d'information des parties civiles tenue le 31 juillet 2008 :
« Nous
sommes dans un domaine qui est à l'évidence couvert par un secret important,
les sous-marins ayant vocation à remplir des missions nécessitant la plus
grande discrétion » (D2696).
Avant eux, le Procureur de la République de QUIMPER, Monsieur Rolland ESCH,
responsable de l'ouverture de l'enquête et du renflouement du Bugaled Breizh,
dont l'impartialité n'a jamais été mise en cause, a déclaré, alors qu'il venait
d'être muté à MACON sans l'avoir demandé : « Je
ne pensais pas que les militaires, qu'ils soient français ou anglais, aient pu
abuser de ma confiance ».
En tout état de cause, le simple silence
des autorités militaires alors que l'implication d'un bâtiment submersible est
techniquement certaine suffit à établir l'existence d'une dissimulation. Dès lors,
toute discussion sur les motivations d'un tel secret est à la fois vaine et
superfétatoire.
Au regard de ce qui précède et à l'aune
des précédentes notes déjà adressées à la juridiction d'instruction et dont une
copie est annexée à la présente, les parties civiles sollicitent de la
juridiction de céans qu'elle poursuive les investigations jusqu'à ce que les
responsables du naufrage du Bugaled Breizh puissent être renvoyés devant le
tribunal correctionnel.
A tout le moins, elles vous demandent de
reconnaître officiellement, à l'instar des juges d'instruction de Nantes, l'implication d'un sous-marin dans la mort
de leurs proches. A ce prix seulement, la justice française n'aura pas totalement démérité et pourra permettre aux familles des victimes de commencer à construire un deuil dont la vérité sur la disparition de leurs proches est le préalable indispensable.
Toute autre décision signifierait que votre
juridiction privilégie le secret d'État. |